Et l’ami, que signifie partir hors des sentiers battus ? Loin des autres. Des hommes. De la civilisation. Un égo-trip façon Into The Wild ? Aller hors des sentiers battus est-ce se rapprocher de soi ? Redécouvrir cet esprit « authentique ». La « véritable » expérience du voyage. Un voyage au contact de la nature et de ceux qui la côtoie. Cela existe t-il encore, dis-moi ? N’est-ce pas une course éphémère, illusoire, inutile. Propre à cumuler les likes. A remplir un CV de voyage comme on coche une liste de course. Comment sortir de ces maudis sentiers battus, hein ?

Mon voyage hors des sentiers battus

Hors des sentiers battus. Phrase bateau. Bullshit de base. Battus par qui ? Les hommes ? Mais tout a déjà été conquis, foulé, cartographié. L’ami, faut-y faire, les terra incognita n’existent plus. A moins de partir sur des aventures plus ou moins extrêmes, ou la mort est la limite à ne pas franchir, nous ne vivrons, au mieux, que des expériences de sentiers moins battus que les autres. Est-ce à dire que les sentiers battus ne sont pas à vivre ? A expérimenter ? Qu’ils n’apportent rien sinon de la satisfaction qu’à cette vulgaire espèce que l’on désigne du nom de « touristes » ?

Mais nous sommes tous de vulgaires touristes l’ami.Toi, moi, ceux qui voyagent avec nous. Tu t’insurges contre cette étiquette ? Tu verras, avec le temps, comme l’attrait des bières low cost, la rébellion passe. On n’a personne à impressionner. Personne. Et, au fond, notre voyage n’impressionne personne. Touriste, Louis Amstrong l’est sans doute moins que nous. Mais se voir attribuer l’étiquette de touriste, aventurier, voyageur, quelle conséquence ? De même, qu’un sentier soit battu ou non, cela n’a, au fond, aucune importance. Aucune. La véritable question à se poser, l’ami : ce sentier, fait-il battre notre cœur ? Fait-il battre TON cœur ?

L’important c’est l’expérience que tu vis. Pas l’expérience qu’on te promet de vivre. Pas l’expérience qu’on te vend. Ce que tu ressens là, tout de suite, sur place. Ce que tu en garderas après. Un jour, un mois, un an plus tard. Il faut parfois une vie pour digéré un voyage.

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J’ai adoré New-York. J’ai rêvassé à Prague, Berlin, Barcelone et des patelins paumés au nom inconnu. Dans mes tourments, j’ai même appris à aimer Paris. J’ai découvert mes premiers amours de la randonnée en Nouvelle-Zélande, avec le Tongariro Trek. Un des 10 treks à la journée les plus connus/parcourus au monde. J’ai vécu ma première expérience, presque transcendante, de la grande randonnée, sur le mythique se préparer au Gr20 de Corse. J’ai fait, comme tant d’autres, l‘ascension du Fuji, les 60 000 marches du mont Emei Shan. Le récit ascension Kilimandjaro, le tour du Mont Blanc. Et ? Le Kili, par exemple, un exploit ? Une mamie de 84 ans a atteint son sommet. Et les cours de trail, des courses hors norme ? Une mamie de 89 ans parcourt plus de distance que je n’en ai fait jusque là. Des milliers de l’autre l’ont fait. Le font. Le feront. Ils en parleront avec autant d’enthousiasme que moi. Le vivront avec autant de sincérité que moi. Cela n’enlève rien à ce que JE ressens. Cela ne réduit en rien les émotions que je vis. Que tu vis. Si ?

Notre amour pour une personne a t-il moins de valeur parce que cette personne a déjà été aimé par un/une autre ? Êtes-vous de ceux obsédés par les paysages vierges ?

Il y aura toujours eu quelqu’un avant toi. Il y aura toujours quelqu’un après. Mais personne ne sera vraiment à ta place.

Je retiendrai toujours en moi ce sentiment irréel en Patagonie chilienne. Dans le parc de Torres del Paine. Ce n’était pas la meilleure fenêtre météo. Je n’ai pas vu les splendides Torres del Paine. Ces tours qui ont donné leur nom au parc… Il a plu, il a neigé, le vent a soufflé. Le ciel était de la semoule brume. On pouvait sentir sur sa peau sa rugosité. On s’est abrité derrière un rocher.

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Un oiseau s’est posé. Je le caresse de mes yeux. Que faisait-il là, au milieu de la tempête. Rien, il était perdu peut-être. Un peu déçu peut-être. Je me souviens. Il avait un flocon pour chapeau. Il picora quelques miettes de pain de mon sandwich. Je n’ai pas vu les tours. Je les verrai sans doute un jour. Mais j’ai vu l’oiseau. Cette petite bête. Ce bête oiseau. Ce moment unique m’appartenait. J’ai vécu « mon » moment. Insignifiant pour tant d’autres. Si précieux à mes yeux. Ces autres, venus là, peut-être, uniquement pour cueillir « la » photo comme on cherche une pomme sur le pommier. Comme moi au départ. Se satisfaire de petites choses. Du chemin, non de la destination finale. Le soleil, tel un écolier amoureux, vint bien trop tard pour éclaircir notre ballade. Les chemins du retour étaient là pour me guider, boueux à souhait. Balayé des traces de ceux passés avant moi. Les tentes posées, les gens rassemblés près du feu, un verre de vin chilien à la main. La pluie battait les cartes, enragée de perdre la mise, à notre fenêtre. Splendeur brute. J’ai senti une réelle connexion avec ce lieu. La Patagonie. Une connexion au plus profond de mon âme. Je devenais poète sans le savoir. Chaque voyage nous est unique. M’est unique.

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Même sentiment au désert d’Attacama ou sur le chemin du Machu Picchu. Haut lieu pourtant des inconditionnels du voyage, à « réaliser au moins une fois dans sa vie ». Mais ces vestiges de la grandeur, de l’ingéniosité des hommes ou de la poésie de dame Nature sont là pour une raison. Témoins inestimables du « beau ». Tous ceux qui les découvrent, pour peu qu’ils les respectent, ne les réduisent en rien. Ne les enlaidissent nullement. Chacun repart avec sa part du merveilleux. Chacun la partage. Chacun la recherche. On peut, égoïstement, souhaité être le seul, l’unique, le premier. Se lever plutôt suffit parfois pour vivre ces instants de grâce. Mais, au lieu de se préoccuper de l’Autre. Au lieu de rechercher les sentiers oubliés. Mieux vaut s’oublier soi-même. Battu ou non, le sentier nous façonne et, alors, seule l’émotion nous anime.

Voyager à des milliers de kilomètres de chez moi m’a appris une chose. Il y a des trésors au pas de ma porte.