Faire du stop… Je me revois, doigt levé, sourire de façade hésitant, seul au bord de la route. Cheveux en bataille. On se met alors un peu à nu. Il y a Moi et le regard des autres. Ce regard qui juge. Ce regard qui jauge, Ce regard qui nous déshabille et nous questionne.

 

Les automobilistes ont de multiples visages. C’est comme un bal masqué à Venise. Il y a ceux qui me fuient en souriant, les jeunes souvent. Il y a ceux qui ceux se moquent, friqués, avec un sourire dédaigneux, dans leur grosse berline. Il y a ceux qui ne me voient pas, ceux qui ne veulent pas me voir, ceux qui détournent le regard. Il y a les pressés qui, honteux, accélèrent à ma vue comme ci ne pas s’arrêter les rendait coupable. Coupable de quoi ? Il y a ceux qui, désolés, ont les épaules voûtées, et la voiture remplie… et il y a ceux qui s’arrêtent. Chevaliers des temps modernes. Mon coeur alors fait un bond. Ma foi en l’humanité est renouvelée. Quelques secondes qui perturbent mon monde de stations services et de bitume.

 

Moi-même je me questionne. De quoi ai-je l’air ? Dangereux ou sympathique ? Propre ou usé par la route ? Mon visage invite t-il à se taire ou à mener une conversation sur de longs kilomètres ?

Quelques secondes pour créer un pont. Nouer le contact. Briser la peur et les appréhensions entre deux inconnus. C’est bref, comme une étincelle de vie.

 

Pourquoi faire du stop ?

 

Il y a les petits trajets, dans notre environnement quotidien, les coups de pouce qui dépannent… et il y a ceux, ailleurs, dans des pays dont on ne partage pas forcément la langue ni les coutumes.

Mes grandes expériences “d’ailleurs” ont débuté à deux, en couple, en Islande. Je crois que ce pays m’a marqué au fer rouge. Par ces paysages d’un autre monde, par la bonté de ceux qui la traverse, touristes de passage ou autochtones. Une oasis pour l’exercice du pouce. A peine le temps de se poser qu’en 30 secondes, une voiture nous prit, Magda et moi, surpris et ravis, à l’aéroport de Reykjavík. Nous avons principalement voyagé ainsi, tout au long de notre séjour en Islande. Y a t-il de plus belle école que l’Islande ?

 

Puis ce fut la Nouvelle-Zélande où je me suis lancé, seul, sur les magnifiques routes de l’Ile du sud. J’ai pu y découvrir des perles comme le lac Tekapo.

 

Dire que la pratique du stop a changé ma vie n’est pas faire du sentimentalisme. Je dis ce qui est. Je parle de ma réalité. Je ne parle pas de révélation, je vous parle d’un projet de vie. Le stop favorise les rencontres et des rencontrent naissent des idées. Il faut que le sol soit fertile. Chez moi il l’est. Mount Cook, printemps 2013, un pouce tendu qui me fera participer à la soirée du 50e anniversaire de l’ascension du Mont Everest par Sir Hillary. Une discussion. Une curiosité naissante. Me voilà, plus tard, lancé sur le Gr20, à la poursuite de mon défi des 7 sommets avec le Kilimandjaro, me voilà devenu un accro aux treks. Accro à la solitude des grands espaces… bientôt l’Elbrouz. Il me tarde.

 

Le stop. Plus de 1000 km cumulés à chaque fois. Comme mes trajets France-Pologne qui me semblent comme un saut à l’épicerie du coin. J’en reviens d’ailleurs. J’ai du battre le record de la lenteur. 58H pour réaliser un peu plus de 1300km. 2 nuits dans des stations services. 2 livres dévorés, un troisième entamé. 8 cafés. Une baquette, 3 saucisses. Aucun regret. Je n’ai pas trouvé le temps long… le stop a cette qualité d’indéniable d’apprendre la définition la plus juste du mot “patience”.

 

Je ne suis pas un humaniste. Si j’avais plus d’argent à brûler sur l’autel du dieu consommation, le stop ne serait pas ma première option. L’évidence du pauvre. Le transport coûte cher. Moins qu’avant, mais tout de même. Il faut bien faire des sacrifices quelque part. Alors on grappille quelques euros de ci de là, le pouce levé… mais pas que… au delà des quelques billets dormant sagement dans mon porte monnaie, il y a aussi les hommes. Fortuite découverte. Ces femmes et ces hommes qui vous transmettent une parcelle de leur vie. Un passage à témoin entre deux claquements de portière. C’est aussi pour cela que je tends le pouce. Pour que des inconnus me parlent. Pour que leurs mots me bercent et me choquent, parfois.

 

Prochain récit : Le stop, des rencontres et des histoires avec les routiers polonais.

source image : bobulix