J’ai beaucoup écrit durant mon voyage en Europe de l’est et en Europe centrale. En fait, j’écris beaucoup et ce, tout le temps. J’avais alors la pudeur de ne pas partager mes récits sous cette forme car je ne savais pas si vous y trouveriez un quelconque intérêt. Au final, ces textes, c’est une partie de moi et je pense que si vous me suivez, de plus en plus nombreux, j’aime à croire que c’est plus pour ma plume que les quelques conseils qui ne seront jamais aussi pointus que dans les guides de voyages. Voici donc un premier passage entre Bratislava et Lviv, en Ukraine.

Je vous livre quelques conseils equelques photos qui m’inspirent en fin d’article.

Tadam, tadam, tadam.

Je suis le fracas des roues qui bondissent sur les rails.

Tadam, tadam, tadam.

Je suis la douce mélodie qui me balance et me berce.

Tadam, ploc, tadam, ploc.

Je suis ce monde irradié par l’orage.

A l’extérieur, les gouttes d’eau se fracassent contre la vitre, transformant en lointains murmures les doux poèmes du wagon. Dans la solitude de ma cabine, je contemple, fasciné, les paysages zébrés d’éclairs que me laisse entrevoir l’orage magnanime entre deux giboulées.

Je suis parti de Bratislava pour Lviv, en Ukraine.

Une pensée me vint alors que mon train se fait attendre : nous sommes les patients du voyage entre deux gares qui sont nos salles d’attentes.

Me sont alors diagnostiquées 21h de transition dans les wagons, de sommeils anxieux, de regards jetés à mon précieux sac au siège accroché, de virées dantesques dans les WC qui sont aussi périlleuses que des montagnes russes sans ceintures, mais aussi, de demi-conversations russo-polono-anglaises avec des inconnu(e)s, de verres de vodka levés à un futur heureux et incertain, de rires et de quiproquos au travers de mots à la prononciation maladroite.

21H de vie dans un train rien que pour retrouver le sens du mot voyage. J’aime ces transitions. Les distances me vieillissent comme un bon vin. Je ne sais plus vraiment où je vais, les paysages pourraient défiler comme les pays. Slovaquie, Bulgarie, Roumanie, Croatie…

21H hantées de ces soupirs jetés au coucher du soleil sur les champs dorés d’été faisant un clin d’oeil aux collines verdoyantes. Ces collines millénaires en sommeil qui vous percent l’âme d’une joie sans nom juste parce qu’on est alors le témoin heureux et inconnu d’un immuable ballet de couleurs à leurs sommets.

J’aime ces vieux trains aux allées de moquettes défraîchies, aux voyageurs accrochés aux fenêtres à demi-entrouvertes, le regard avalé par les kilomètres qui défilent.

J’aime ces vieux trains aux belles femmes mystérieuses surgissant dans les reflets des vitres de compartiments bien trop loin du nôtre, toujours un livre de Pouchkine à la main, aux lèvres rouge carmin et à la peau de porcelaine qui vous fendent en deux si vous croisez leurs assassines prunelles.

J’aime ces joueurs de cartes au visage rosi par l’alcool et la chaleur qui hurlent “victoire” entre deux giclées de leur saucisson, de leur salade de légumes mayonnaise et de leur pain, recrovillés entre deux tranchées de dents argentées.

J’aime ces mamies qui tricotent ou jouent aux mots croisés pour tuer le temps, insensibles à leurs petits diablotins qui vous fixent de longues minutes en riant d’un air énigmatique.

J’aime les mains ridées de ces babouchkas qui parfois accrochent votre regard à leurs fils et qui, après avoir posé leurs longues aiguilles, vous amènent et vous entraînent au travers d’une longue litanie aux accents russes et roques dans ces histoires déroulées dans une époque révolue.

Histoires dans lesquelles il y a toujours quelque part un Ivan, au torse fort et musculeux et au regard océan et doux, tombé trop tôt quelque part sous les balles, les manigances ou la déportation, alors qu’il était au printemps de sa vie, laissant une femme seule au ventre trop rond et un torrent de larmes.

J’aime entendre ces histoires humaines aux images saccadées et teintées d’un rouge ensanglanté de souvenirs déchirants, aux contes rendus simplement irréels par le temps écoulé qui se compte en nombre de mes vies et un mur abattu entre des mondes qui jamais ne se réconcilieront.

Toujours alors les enfants turbulents s’endorment sous cette liturgie de joies et de peines qui deviennent nôtres. Toujours, je dois fuir, honteux, tremblant parfois d’émotions comme un animal craintif sous les assauts des larmes. C’est un électrochoc à chaque fois. Ce miroir de l’humanité aux sentiments idéalisés et à l’injustice théâtrale.

Je devrais avoir honte car les hommes ne pleurent pas.

Mais je ne suis pas un homme, je suis un simple voyageur dans un train.

Mes larmes m’appartiennent, comme mes souvenirs.

Tadam, tadam, tadam

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Source des images : http://pinterest.com/bienvoyager/train/

Infos voyage en train :

– site de a Deutsche Bahn en français : http://www.bahn.de/i/view/FRA/fr/index.shtml

– durée du voyage : environ 21h

– prix 80 euros si mes souvenirs sont bons